Parmi la bonne centaine de « business books » que j’ai lus depuis que j’ai créé Lucca en 2002, certains ont eu un impact important sur la façon dont je conçois et supervise la réalisation des logiciels Lucca. J’en recommande la lecture à tous mes chefs de produits (je leur impose même la lecture de « The Humane Interface »).
Voici une courte présentation de chacun de ces ouvrages.
The Mythical Man Month
Frederick P. Brooks – 1975
Paru en 1975, ce livre est un des premiers ouvrages à traiter de ce qui était alors une toute nouvelle discipline : la conception de logiciels. Il est vite devenu un classique du genre. L’auteur, Frederick P. Brooks, était en charge de la conception du système d’exploitation de l’IBM OS/360 et avait sous sa direction 1 500 développeurs.
L’auteur développe dans ce livre plusieurs idées pertinentes. La première et la plus connue est la « loi de Brooks » qui dénonce le mythe de l’homme mois et qui énonce que « ajouter des effectifs à un projet informatique qui prend du retard ne fait que le retarder davantage ».
Brooks dénonce aussi le mythe de la « balle d’argent » (« the silver bullet »), c’est à dire la croyance qu’une nouvelle méthode de développement, un nouveau langage, une nouvelle technologie puisse faire progresser d’un ordre de magnitude la productivité des équipes de développement.
L’idée du livre qui m’a le plus marqué concerne l’importance essentielle de l’intégrité conceptuelle d’un système d’information et, qu’en conséquence, celui-ci ne peut être conçu que par un très petit nombre de personnes. L’architecte logiciel développe une vision du produit et s’assure que tout le monde la comprenne et l’applique. C’est le contraire de la démocratie.
Peopleware
Tom DeMarco – 1987
Paru en 1987, une dizaine d’années après the Mythical Man Month, Peopleware est lui aussi devenu un classique du genre. Il aborde le thème de la conception des logiciels sous l’angle sociologique, d’où son titre.
L’ouvrage débute sur un message d’autant plus fort qu’il est en apparence trivial : on ne fait pas un logiciel comme on fait un cheese burger (make a cheese burger, sell a cheese burger). En d’autres termes, quand on fait un logiciel, il faut abandonner les réflexes issus d’un processus de production industriel. La chasse aux erreurs, la standardisation, le respect des horaires d’arrivée ne sont pas des critères importants. Et, si les pulsions créatives d’un équipier ne sont pas nécessairement bénéfiques à la performance d’un fast food (« Non Bob, je ne suis pas sûr que de rajouter des leechis dans le Big Mac soit une très bonne idée »), il n’en est évidemment pas de même dans le processus de réalisation d’un logiciel.
Peopleware est également connu pour avoir été un des premiers ouvrages a partir en guerre contre les open spaces. Il montre, à partir de nombreuses études terrain, que le principal facteur de productivité d’un développeur est lié à la qualité de son environnement de travail, et en particulier à son environnement sonore.
Enfin, pour l’anecdote, dans ses premières années, Lucca a commercialisé un espace de travail collaboratif dont le nom – Jell – provient directement d’un chapitre de Peopleware. Ce chapitre intitulé, « le tout est plus grand que la somme des parties », décrit le principe de « jellification ». Ce phénomène vertueux se met en place lorsque se tissent des liens affectifs et intellectuels très forts entre les membres d’une équipe, rendant le groupe extrêmement performant.
Don’t make me think
Steve Krug – 2000
Ce petit livre est un modèle de concision. Il se lit en une heure et illustre le message véhiculé par son titre : éviter autant que possible à un utilisateur de réfléchir, voilà la définition d’un bon design.
Cette saine maxime me revient à l’esprit chaque fois que je revois les maquettes préparées par mes chefs de produit. Entre deux designs, le meilleur est celui qui fait le moins réfléchir. Merci Steve Krug de nous avoir rappelé cette évidence.
Steve Krug est l’auteur un deuxième ouvrage – Rocket Surgery Made Easy – tout aussi recommandable. Il y décrit l’importance des tests utilisateurs, et de les faire le plus simplement possible. Pas de questionnaires compliqués, pas de eye tracking, pas d’échantillonnage statistique. Il suffit, pour un résultat efficace, d’attraper 4 ou 5 personnes qui passent dans le couloir, de les mettre devant le logiciel à tester et de leur demander de formuler à haute voix leurs pensées en essayant de ne les influencer qu’au minimum.
Ceci est une excellente pratique.
The Humane interface
Jeff Raskin – 2000
Ce livre, dont l’auteur est le concepteur de l’interface du Macintosh, est un chef d’oeuvre du genre. Il traite le même sujet – l’ergonomie – que Don’t Make Me Think de Steve Krug, mais d’une façon bien plus profonde et bien plus solide conceptuellement. C’est la raison pour laquelle j’en impose la lecture à tous mes chefs de produit.
Il parvient quasiment à porter l’ergonomie au rang de discipline scientifique.
Vous devez lire ce livre si vous voulez comprendre pourquoi il n’existe pas d’interface naturelle ou intuitive, pourquoi une interface doit être monotone et non modale, pourquoi le locus of attention est un concept ergonomique essentiel, pourquoi certaines pop-up d’alerte sont à proscrire.
Il faut aussi le lire pour découvrir ce que sont la loi de Hick et la loi de Fitt
La loi de Fitt prédit que le temps pour atteindre une cible sur une interface (par exemple un lien ou un bouton) est fonction d’un ratio de la distance entre le pointeur de la souris et la cible sur la surface de la cible.
Un exemple permet de mieux comprendre l’esprit de cette loi. Plutôt que de présenter un hyper lien comme ceci : « Pour en savoir plus sur la loi de Fitt, cliquez ici », mieux vaut « Pour en savoir plus sur la loi de Fitt, cliquez ici », et à tout prendre « Pour en savoir plus sur la loi de Fitt » est à la fois plus élégant et plus efficace.
Bref, lisez ce livre.
The Timeless Way of Building
Christopher Alexander – 1979
Avec ce livre, The Timeless Way of Building, on touche au sublime. Ce n’est pas l’un des meilleurs livres de business que j’ai lu, c’est un des meilleurs livres que j’ai lu toutes catégories confondues.
Christopher Alexander est un architecte dont l’oeuvre dépasse les limites de sa discipline. Il est connu pour avoir développé une critique acerbe du coté vain et nombriliste de l’architecture contemporaine. Sa réputation a même dépassé les frontières de l’architecture car il est la source d’inspiration du concept de design pattern utilisé en programmation orientée objet.
Dans Timeless Way of Building, Christopher Alexander explore les raisons profondes pour lesquelles certaines architectures, que ce soit l’Alhambra de Grenade, ou certains village de montagne semblent avoir une âme et dégagent une puissante sensation d’harmonie. Son ouvrage est écrit dans un style à la fois simple et lumineux. Je ne peux m’empêcher d’en citer les deux premières phrases :
There is one timeless way of building.
It is thousands of years old, and the same today as it has always been.
Je trouve ce livre profond et poétique à la fois. Si certains seront décontenancés par sa dimension philosophique, voire mystique, ils se retrouveront en territoire plus connu avec le tome suivant : A pattern Language, Town, Buildings and Constructions » qui décline de façon concrète les principes abordés dans The Timeless Way of Building.